L’homme qui a dit « oui » à de Gaulle

Bernard Farcy, le commissaire Taxi, campe devant la caméra de Bernard Stora un incroyable général de Gaulle. Il est Le Grand Charles de France 2. Les couleurs semblent lessivées par le temps. Il est là, face aux techniciens, assis derrière son bureau. Poliment, il demande : « Je peux commencer ? » Et Charles de Gaulle, premier président de la Vème République, de faire une de ses dernières allocutions. « C’était en 1969, je votais pour la première fois », se souvient en voix off Bernard Stora, narrateur mais aussi scénariste et réalisateur du Grand Charles ; un téléfilm à la hauteur de son sujet. A condition de se laisser happer par sa mécanique : une alternance d’images d’archives et de fiction. Une fois la surprise passée de découvrir Bernard Farcy, et Danièle Lebrun dans la peau des époux de Gaulle, plus rien ne pourra vous empêcher de suivre une partie méconnue de la vie du Général, cette traversée du désert qui l’a tenu douze ans (1946-1958) éloigné du pouvoir. Sur cette plage irlandaise, que pouvaient bien se dire Charles et Yvonne de Gaulle, filmés en noir et blanc par les caméras en 1969, quelque temps après le départ définitif du grand homme ? « Qui nous le racontera jamais, sinon notre imagination ? » prévient Bernard Stora, un metteur en scène qui a relevé le défi de redonner vie à un personnage jusque-là très discret au cinéma ou à la télévision. De Gaulle ? Une silhouette furtive dans L’armée des ombres, une discrète apparition dans Jean Moulin, une affaire française. Une énigme pour le producteur Jean-Pierre Guérin. « L’idée du Grand Charles est née lors d’une visite que j’ai faite à La Boisserie en 1979, alors que j’étais rédacteur en chef à France 2. Le souvenir du Général qui planait sur ces lieux et la solennité fortuite du moment - Mme de Gaulle venait de mourir – se sont cristallisés dans mon esprit en une question : quelle avait été sa vie dans cette maison froide, lointaine, modeste ? » Rassurez-vous, il n’est pas uniquement question dans cette œuvre de parties de cartes, de lecture au coin du feu avec tante Yvonne faisant du tricot pas très loin de son cher époux, ni de promenades solitaires dans les bois de Colombey-les-Deux-Eglises. L’intérêt du téléfilm est de revenir sur le parcours du Général, son engagement en 1940, son retour triomphal en 1945, sa démission en 1946, la création du RPF en 1947 et son accession au pouvoir après la manifestation des Français d’Algérie le 13 mai 1958 (premier sujet de la passionnante série Les détectives de l’Histoire de Laurent Joffrin, samedi 20h50, France 5). De tout cela, il est question. De son intimité et de sa tactique politique aussi. Quel héros, quel fin stratège, quel manipulateur. « On touche à la statue du Commandeur, note Jean-Pierre Guérin. Le grand Charles est une réflexion sur l’engagement et le pouvoir. »

Bernard Farcy donne vie à ce héros romanesque. Passé quelques secondes, le commissaire Gibert disparaît derrière dans l’uniforme de l’homme du 18-juin. Il est « une illusion convaincante ». Le nez et les oreilles retouchés, la voix moins haut perchée, il incarne le général de Gaulle, sans jamais chercher à l’imiter. Le comédien sort grandi par ce rôle.

« 50 de vanité et 50 d’inconscience, c’est ce qui m’a décidé », répond-il alors qu’on le sens encore habité par son personnage. Le regard lointain, les poings fermés, le dos droit, il y a parfois du mimétisme entre le modèle et son interprète. La tendresse du personnage transpire aussi, parfois, sur la pellicule de Stora. Une scène avec Anne, la fille trisomique du Général, ou un bouquet de violettes offert à Yvonne (« vrai bonnet de nuit ») rappellent que l’homme qui a dit « non » pouvait se laisser attendrir. S’emporter aussi. « Les hommes, ils mourront en soldats. Ça aura une autre gueule que de clamser d’un ulcère dans un lit », lui fait dire Stora. « Quiconque a l’ambition de gouverner doit se résoudre à ne pas se faire aimer ! » ajoute-t-il. « Mais fichez-moi la paix, à la fin. Je n’ai rien demandé à personne. Pourquoi devrais-je être à la disposition de ses braillards d’Alger ? » Que dire alors du portrait au vitriol qu’il dresse de ses barons. Jacques Soustelle ? « Il se prend pour Marc Aurèle depuis que trois imbéciles ont crié son nom en Algérie. » Michel Debré ? « Il rêve d’envoyer la moitié de la France à la guillotine et de jeter l’autre en prison. » Jacques Chaban-Delmas ? « Un fumiste qui croit qu’on peut gouverner la France entre deux parties de tennis. » Tous sont aussi magnifiquement interprétés par Pierre-François Dumeniaud, Hubert Saint-Macary et Julien Boisselier. Que dire encore de Patrick Chesnais (ingénu général Giraud), Thierry Hancisse (fidèle Olivier Guichard), Denis Podalydès (serviable Claude Mauriac), Gregori Derangère (impeccable Claude Guy) et tous les autres héros de ce téléfilm. Sans oublier l’excellent David Ryall. Il campe un incroyable Winston Churchill, cabot à souhait. Les entretiens entre les deux personnages resteront homériques. De Gaulle : « I’m France. » Churchill : « No, vous n’êtes pas la France ! » Le Général : « Alors pourquoi discutez-vous avec moi ? » « Avec de tels personnages, nous ne pouvions qu’être transcendés, souligne Bernard Farcy. Sur le tournage, nous étions tous très concentrés. Nous n’avions pas l’habitude de plaisanter, ni de sortir le soir. » Cette semaine, plusieurs gaullistes lui ont confié après une projection privée : « Votre interprétation ne bafoue pas l’icône. J’étais sidéré. » Une belle récompense pour un acteur qui a relevé un pari (très) risqué. Il peut être fier d’avoir participé à une belle œuvre didactique. Ne lui manque plus que de recevoir le jugement de Philippe de Gaulle, le fils de Charles. « L’avis de l’amiral me sera très utile ». Et d’imaginer déjà interpréter un jour François Ier. « Je ne peux que m’intéresser à de grands personnages. » Inimaginable pour lui de composer du haut de son 1.95 mètre Napoléon. « Ce ne pourrait qu’être un rôle de décomposition ». Il ne lui reste plus qu’à résister demain et après-demain à la concurrence de TFI. Les Femmes de loi de la Une et Taxi 2 lui réservent un beau tir de barrage. Dommage.

« Une illusion très convaincante ». Combien serez-vous cette semaine à plébisciter le de Gaulle (incarné par Bernard Farcy) ?